Recherche et communication savante

En 1929, Virginia Woolf écrivait un essai qui allait devenir un pilier de la littérature féministe. Elle tentait alors d’apporter une explication à l’absence des femmes du monde littéraire. Pourquoi Shakespeare ne pouvait-il pas être une femme? Dans A Room of One's Own, elle en vient à la conclusion que, pour produire une œuvre, une femme doit au moins disposer « de quelque argent et d'une chambre à soi ». Près de 100 ans plus tard, en 2020, Rita Colwell, pionnière en microbiologie et première femme à présider le National Science Foundation aux États-Unis, publie avec Sharon Bertsch Mcgrayne, en clin d’oeil à l’oeuvre de Woolf, A Lab of One's Own : One Woman's Personal Journey Through Sexism in Science

Le système de la science fonctionne de telle sorte qu’il nécessite aussi de bénéficier de quelque argent, par le biais de subventions de recherche, et d’une chambre à soi, c'est-à-dire d’un accès à un laboratoire, et donc à un budget d’infrastructure. La marche a été longue pour que les barrières institutionnelles s’amenuisent. Les droits se sont acquis petit à petit, d’abord avec le droit à l’éducation, puis avec le droit de faire de la recherche à l’Université. Aujourd’hui, la parité dans la recherche en STIM reste à atteindre. À titre d’exemple, sur les 38 octrois de bourse d’infrastructures du Fonds de recherche du Québec - Nature et technologie (FRQNT) en 2018 et 2019, 4 seulement ont été attribués à des femmes (FRQNT, 2019, p.59). Ajoutons qu’un parcours académique en sciences carbure à la reconnaissance. En développant la notion de capital scientifique, Pierre Bourdieu est venu conceptualiser ce phénomène. Plus une personne a publié, plus cette personne pourra avoir un budget intéressant. Plus ses moyens financiers seront importants, plus elle pourra faire de recherches et aura de chances d’obtenir des prix. Ceci entraîne la création d’une élite scientifique qui ne donne pas toujours place à la diversification des points de vue. Les contenus présentés dans cette section permettent d’explorer les effets de l’organisation de la science et de la recherche afin de comprendre quels sont les principaux défis rencontrés par les femmes qui évoluent dans ce milieu, et comment de nouvelles initiatives peuvent améliorer ce portrait.

L’effet Matthieu et l’effet Matilda

En sociologie des sciences, l’attribution répétée de la notoriété à certaines personnes porte le nom de l’effet Matthieu. Il s’agit d’un concept développé par le sociologue Robert K. Merton afin d’expliquer  pourquoi les établissements d'enseignement supérieur ainsi que les entreprises les mieux reconnues tendent à entretenir et à conserver leur domination dans le monde de la recherche et de l’innovation technologique. Cette appellation fait référence à un verset qui se trouve dans l’évangile selon Saint-Matthieu : « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on ôtera même ce qu'il a. » (Merton, 1968). 

Son effet contraire, l’invisibilisation des femmes, porte le nom d’effet Matilda. C’est un concept théorisé en 1993 par l’historienne des sciences Margaret W. Rossiter pour rendre hommage à Matilda Joslyn Gage, écrivaine, militante féministe et abolitionniste américaine. Selon Rossiter, ce phénomène est alors systémique en sciences. Une grande part des contributions des femmes est passée sous silence, influençant la perception de l’histoire scientifique telle que nous la connaissons aujourd'hui. En plus de ce silence, lorsque les femmes sont créditées, il y a une tendance à les nommer dans des rôles de soutien, alors que la réalité montre souvent des contributions beaucoup plus vastes. C’est également un phénomène rencontré dans le contexte des couples de scientifiques, où les femmes sont fréquemment peu créditées ou sous-représentées dans des réalisations faites au nom de leurs conjoints (Rossiter, 1993).

Illustration par Pauline Stive

On m’a demandé récemment: « Qu’est-ce que tu préfères dans ton métier d’illustratrice? », et ma réponse a été, sans une hésitation: « Créer en collaboration avec d’autres imaginaires, rebondir sur les challenges que chaque contrat apporte, profiter de l’inspiration amenée par chaque nouveau mandat pour aller dans de nouvelles directions ». En éditorial comme en illustration jeunesse, le portrait revient toujours s’imposer. Des années de voyages, et de nombreux carnets de croquis remplis continuent d’alimenter mes créations. Installée à Montréal depuis 6 ans, je travaille dans un bel atelier avec d’autres artistes.
paulinestive.com

Sources

Colwell, R. (2021). Lab of one’s own: One woman's personal journey through sexism in science. New York, NY: Simon & Schuster.

FRQNT. (2019) Rapport annuel de gestion 2018-2019. Repéré à https://frq.gouv.qc.ca/app/uploads/2021/04/rapport-anuel_frqnt_2018-2019.pdf 

Merton, R. K. (1968) The Matthew Effect. Science, 159(3810), 56-63.

Rossiter, M. W. (1993). The Matthew Matilda Effect in Science. Social Studies of Science, 23(2), 325‑341. doi:10.1177/030631293023002004

Woolf, V. (2020). A room of one's own. Londres, Royaume-Uni : Penguin Books.