Conciliation identité, vie personnelle et travail

Les années 1990 marquent un tournant pour l’avancement des femmes en sciences, puisque pour la première fois, les données parviennent à démontrer que les causes attribuables à ces disparités sont systémiques et que les femmes ne sont pas individuellement responsables des difficultés qu’elles rencontrent (Moir, 2007). Un des constats principaux soulevés par ces études est que le désir d’enfant et les impératifs du milieu académique peuvent être en profondes discordances.

Les tâches domestiques et la charge mentale (Haicault, 1984) reviennent encore aujourd’hui en très grande partie aux femmes (Gravel, 2019). En 2019, la crise mondiale provoquée par la pandémie est venue renforcer certaines iniquités : seulement en quelques mois, le nombre de publications soumises par les femmes a diminué par rapport aux mois précédents la crise et à l’année précédente (Vincent-Lamarre, Sugimoto, & Larivière, 2020). Le vécu et l’expérience de chaque femme sont différents. Les personnes appartenant à différents groupes dits minoritaires, que ce soit sur le plan des enjeux raciaux, d’appartenance aux communautés LGBTQ2+ ou encore concernant un handicap ou des problèmes de santé physique ou mentale, feront face à différents biais systémiques dans la progression de leur carrière en STIM. La lutte contre ces stigmas et les initiatives de représentation variées s’avèrent cruciales pour donner une meilleure visibilité aux personnes marginalisées et encourager la relève à se projeter dans une carrière en STIM. Sachant que la diversité est une grande force dans l’innovation, l’élargissement des intérêts de recherche et l’impact même de la recherche (Gewin, 2018 ; Powell, 2018), une culture scientifique informée et diversifiée, qui ne reproduit pas dans la technologie et son éthique ses propres biais, est essentielle.

Biais algorithmiques en technologie

La technologie peut-elle être biaisée? Alors que l’intelligence artificielle est un terrain qui ne cesse de prendre de l’ampleur, cette question est très présente dans l’actualité. Pour décortiquer le tout, dans son livre Race After Technology, la Professeure Ruha Benjamin titre son premier chapitre Engineered Inequity: Are Robots Racist. Elle explique qu’on répond souvent non à cette question car on présuppose que le racisme et les visions biaisées sont automatiquement motivés par un désir clair de blesser, alors que ces comportements sont souvent reproduits de manière inconsciente. Dans les biais algorithmiques, c’est bien souvent beaucoup plus nuancé. Si la notion de nuire et d’exclure peut guider certaines décisions techniques, une technologie qui semble biaisée le sera bien souvent simplement parce qu’elle reflète notre monde. Le robot est créé, codé par des humains et l’apprentissage automatisé à partir de jeux de données qui, immanquablement, prennent source et témoignent des biais et des stéréotypes véhiculés dans la société. Dans cette lecture, on peut conclure que oui, les robots peuvent être racistes. Maintenant, comment, dans notre rôle de « parent » de la technologie, pouvons-nous nous assurer d’élever la vie artificielle dans une approche respectueuse, qui n’ignore pas les enjeux raciaux (Benjamin, 2019)?

Plusieurs études et tests, dont le projet Gender Shades de Joy Buolamwini, chercheuse au MIT Media Lab, ont montré que les produits de reconnaissance faciale commercialisés par les géants de l’industrie rencontrent tous des lacunes importantes spécifiques à la couleur de peau et au genre des sujets analysés (Buolamwini, 2018 ; Hardesty, 2018). De plus, le décès de George Floyd lors d’une intervention policière au printemps 2020 a ramené tragiquement l’enjeu du profilage racial au premier rang des débats publics, suscitant la remise en question de l’usage controversé des technologies de reconnaissance par les forces policières. Des géants comme Amazon et IBM ont déclaré vouloir cesser cette pratique, et un moratoire a été déclaré afin de pouvoir faire le point et déterminer comment encadrer ces usages (BBC News, 2020).

Bande dessinée par Talhí Briones

Écrivaine, artiste, bédéiste et designer graphique qui n’a jamais assez d’heures pour tout faire. Montréalaise aux racines chiliennes, minorité visible et bruyante, activiste armée d’une plume et d’un pinceau. Auteure de Hiéroglyphes - Les Conspirations Célestes, roman fantastique publié aux éditions Québec-Amérique. Artiste derrière la bande dessinée Emmanuel veut juste en finir, aux éditions Glénat Québec, et de la courte BD Une chance sur dix, parue dans le recueil X aux Presses du FBDM. talhibriones.com

Sources

BBC News. (2020, 11 juin). George Floyd: Amazon bans police use of facial recognition tech. Repéré à https://www.bbc.com/news/business-52989128 

Benjamin, R. (2019). Race After Technology. Cambridge, UK : Polity Press.

Buolamwini, J. [MIT Media Lab]. (2018, février). Gender Shades. [Vidéo en ligne]. Repéré à   https://www.youtube.com/watch?v=TWWsW1w-BVo&t=159s&ab_channel=MITMediaLab 

Gewin, V. (2018). What does it take to make an institution more diverse? Nature, 558(7708), 149-151.
   doi : 10.1038/d41586-018-05317-4

Gravel, P. (2019, 14 février). Le partage des tâches reste inéquitable. Le Devoir. Repéré à
https://www.ledevoir.com/societe/547789/le-partage-des-taches-domestiques-toujours-inequitable

Haicault, M. (1984). La gestion ordinaire de la vie en deux. Sociologie du Travail, 26(3), 268-277.

Hardesty, L. (2018). Study finds gender and skin-type bias in commercial artificial-intelligence systems. Repéré à https://news.mit.edu/2018/studyfinds-gender-skin-type-bias-artificial-intelligence-systems-0212 

Moir, D. J. (2006). Tipping The Scales: Talking About Women in Science And Work-Life Balance.
Dans Science Policies Meet Reality: Gender, Women and Youth
in Science in Central and Eastern Europe CEC-WYS conference. Prague, 1-2 December 2006. Dundee, Royaume-Uni : University of Abertay Dundee

Poirier, P. (2012). La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse mesure la discrimination à l’embauche : mieux vaut se nommer Bélanger que Traoré. [Communiqué]. Repéré à
https://www.cdpdj.qc.ca/fr/actualites/la-commission-des-droits-de-la-94 

Powell, K. (2018). These labs are remarkably diverse, here’s why they’re winning at science. Nature, 558(7708), 19-22. doi : 10.1038/d41586-018-05316-5 

Vincent-Lamarre, P., Sugimoto, C.R., & Larivière, V.(2020). The decline of women’s research production during the coronavirus pandemic. Natureindex. Repéré à www.natureindex.com/news-blog/decline-women-scientist-researchpublishing-production-coronavirus-pandemic